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LES GUIDES BLEUS [1]
Ce guide a été établi par Jean Modot
Direction
Gérald Gassiot-Talabot
Secrétariat de rédaction
Yvonne Vassart
Lecture-correction
Jean-Christophe Thomas
Cartographie René Pineau et Alain
Mirande
Contrôle technique
Philippe Lepage
Couverture de Roman Cieslewicz
Les guides bleus — hachette
79 boulevard saint-germain 75006
paris
©Librairie hachette. 1977
Tous droits de traduction de
reproduction
et d’adaptation reservés pour tous
pays
Préface
Près de vingt années séparent la
publication du guide Algérie-Tunisie (1955) de l'édition du guide Algérie
(1974) dans la nouvelle génération des Guides Bleus.
Il importait, en effet, avant
d'effectuer une telle tâche, d'attendre que les événements douloureux qui ont
marqué ces dernières années se soient, de part et d'autre, cicatrisés, que
l'Algérie ait trouvé et affirmé, dans le monde arabe et parmi les puissances
méditerranéennes, sa personnalité originale, et qu'un mouvement de tourisme,
prolongeant celui de la coopération, y soit organisé et mené à bien. Le succès
remporté par cette version du guide, consacré à l'Algérie contemporaine et
indépendante, et la nécessité de tenir à jour la documentation nécessaire à
tous les touristes, nous ont amené à procéder à une nouvelle édition très
sensiblement complétée et scrupuleusement contrôlée. Nous signalons dans cet
ouvrage les réalisations algériennes les plus actuelles, inscrites dans une
conscience nationale très affirmée, alors même que le pays acquiert une
position de premier plan. Dans les aperçus qui forment la première partie de ce
guide, et qui ont été rédigés par les meilleurs spécialistes, comme dans le corps
des descriptions, nous avons insisté sur les réalisations économiques,
industrielles et sociales, qui font de l'Algérie l'un des États pilotes
de l'Afrique. Les difficultés à surmonter sont certes encore nombreuses, et les
Algériens sont les premiers à le reconnaître ; mais le lecteur sera sensible à
notre souci de faire comprendre et découvrir ce pays, comme à notre volonté de
traiter objectivement des épisodes relatifs à la présence française pendant de
nombreuses décennies. L'un des apports les plus notables de ce guide sera
certainement l'importance que nous avons accordée à la partie saharienne, atout
majeur de l'Algérie, tant sur le plan économique qu'en raison de l'attraction
qu'elle exerce sur une clientèle touristique de plus en plus nombreuse. Nous
avons notamment insisté, dans le Grand Sud Algérien, sur ces zones,
exceptionnelles par leur modelé physique comme par leurs richesses d'art
préhistorique, que sont le Hoggar et le Tassili. Malgré leur infrastructure
touristique, qui, pour le moment, reste encore insuffisante, elles ont le
privilège d'offrir au voyageur un mode « d'aventure » et des occasions
d'exploration où les commodités du tourisme de classe internationale sont
généralement absentes.
La cartographie a été l'objet des
soins les plus attentifs, et nous espérons que les croquis, détaillant les
principales régions d'intérêt touristique, complèteront les cartes
géographiques usuelles. Nous demandons, enfin, l'indulgence de nos lecteurs
s'il leur arrivait de relever ici ou là certaines inexactitudes ; qu'ils soient
conscients des problèmes que pose la mise à jour de l'information dans un pays
où il est très difficile de contrôler une actualité en constante progression.
Nous espérons surtout que ce guide sera un moyen d'approche, de communication
et de compréhension, et qu'il vous permettra de mieux connaître un peuple dont
vous saurez respecter les convictions, les habitudes de vie et apprécier la
fierté, l'intelligence et, pour qui sait la mériter, l'hospitalité généreuse et
spontanée.
===========================================================================
Nous remercions tout particulièrement : La Compagnie
Air France.
En France,
M. Mohamed Merzoug, directeur, et M.
Atman Sahnoun, chargé des relations extérieures, ainsi que les services de
l'O.N.A.T. à Paris.
En Algérie, Mlle Hafida Chaouch,
directrice de la Promotion touristique à et M. Mechraoui, délégué régional, à
Oran.
M. Houari Sayah, chargé des affaires
internationales au Ministère de l'Information et de la Culture, ainsi que les
divers responsables de ce ministère auprès desquels nous avons pu être
recommandés.
La Direction générale de la Compagnie
nationale Air Algérie, M. Djamel Tamzali, directeur commercial à la Sonatour,
ainsi que toutes les personnes appartenant à cette société, à I'A.T.A. et à la
Sonatherm, tant à Alger que dans l'ensemble de l'Algérie.
Nous remercions également : Mme
Denise Basdevant, Mme Suzanne Ageron et M. Charles-Robert Ageron, M. Jean
Déjeux qui ont bien voulu se charger respectivement des aperçus sur l'art,
l'histoire et les lettres en Algérie.
Notre gratitude s'adresse enfin très
spécialement à M. Marcel Girard, chargé de la coopération culturelle et
technique française en Algérie, aux personnes qui nous ont communiqué remarques
et vérifications, dont M. Paul Balta, correspondant du Monde à Alger, et, à
titre personnel et amical, à MM. Mohamed Belbachir et Noureddine Mankour, pour
l'aide efficace qu'ils nous ont apportée.
Guide itinéraire |
|
Plan du guide |
|
Préface |
5 |
Cartes et plans Tableau d'assemblage et légende
des cartes |
8 |
Introduction à l'Algérie La personnalité algérienne, par Marcel Girar |
9 |
Portrait géographique de l'Algérie |
13 |
L'Algérie dans l'Histoire, par S.
et C.-R. Ageron |
16 |
Notes complémentaires sur la
situation actuelle de l'économie, |
26 |
L'art en Algérie, par Denise
Basdevant |
31 |
L'Islam |
35 |
L'Algérie littéraire, par Jean
Déjeux |
36 |
Que parle-t-on en Algérie? |
41 |
Indications bibliographiques,
cartographiques et cinématographiques |
48 |
Que voir en Algérie? |
53 |
Votre voyage |
55 |
Guide itinéraire Villes, sites et monuments |
78 |
Tableau des principales distances |
|
Algérie centrale Alger — Le Sahel — La Mitidja — Le Titteri — Les
Hauts Plateaux |
|
2 - Le Sahel d'Alger |
110 |
3 - La Mitidja et l'Atlas de Blida |
120 |
4 - D'Alger à Bou Saada et Biskra |
127 |
5 - D'Alger à Ghardaïa |
131 |
Algérie
occidentale Ouarsenis —
Dahra — Oran — Tlemcen — Monts des Ksour |
138 |
6 - D'Alger à Tiaret |
|
7 - D'Alger à Oran |
141 |
8-Oran et ses environs |
150 |
9 - D'Oran à Ghardaïa |
160 |
10 - D'Oran à Béchar — Les Monts
des Ksour |
166 |
11 - D'Oran à Tlemcen |
173 |
12 - Tlemcen et ses environs |
177 |
13 - De Tlemcen à Ghazaouet |
187 |
14 - De Tlemcen à Aïn Sefra |
191 |
Algérie orientale Kabylies — Constantine — Annaba — Aurès |
192 |
15 - La Grande Kabylie |
|
16 - Béjaïa et ses environs |
206 |
17 - De Béjaïa à Jijel |
211 |
18 - De Béjaia à Sétif, la Kabylie
des Babors |
213 |
19 - Sétif - Djemila - La Kalaa des
Beni Hammad |
216 |
20 - D'Alger à Constantine |
225 |
21 - Constantine et ses environs |
227 |
22 - De Constantine à Jijel |
238 |
23 - De Constantine à Skikda |
241 |
24 - De Skikda à Jijel |
244 |
25 - Se Skikda à Annaba |
245 |
26 - De Constantine à Annaba |
246 |
27 - Annaba et ses environs |
250 |
28 - D'Annaba à El Kala |
256 |
29 - D'Annaba à Tebessa et à El
Oued |
258 |
30 - De Constantine à Batna et
Biskra |
265 |
31 - De Batna à Khenchela |
269 |
32 - L'Aurès |
278 |
Sahara 33 - Biskra et El Oued — Des
Zibans au Souf |
283 |
34 - De Biskra à Hassi Messaoud |
290 |
35 - De Hassi Messaoud à Ghardaïa |
296 |
36 - Ghardaïa et le M'Zab |
300 |
37 - De Ghardaïa à Béchar |
305 |
38 - De Béchar à Tindouf |
310 |
39 - De Timimoun à Bordj Mokhtar |
313 |
40 - De Ghardaïa à Tamanrasset |
314 |
41 - Le Hoggar et Tefedest |
318 |
42 - De Hassi Messaoud à Djanet |
328 |
43 - Le plateau du Tassili |
335 |
44 Guide alphaétique |
340 |
Introduction à l’Algérie
La personnalité algérienne
par Marcel Girard.
En 1962, quand l'Algérie devint un État
indépendant, bien des gens s'interrogèrent : « Comment peut-on être Algérien ?
». Il n'était pas facile alors de se faire une idée précise de la personnalité
de ce peuple qui pour beaucoup, à l'intérieur de ses frontières actuelles,
n'avait jamais eu droit de cité dans l'Histoire.
Les Algériens eux-mêmes cherchent passionnément à
définir leur « identité ». S'agit-il pour eux simplement de retourner aux
sources premières? de s'affirmer tels qu'ils étaient avant 1830? Ce désir se
manifeste dans certains milieux, mais bien davantage la volonté d'apporter au
monde contemporain des valeurs idéales et des tormes d'action qui constitueront
pour l'avenir leur apport original dans le concert des nations. Ces aspirations
ne sont pas toujours très claires; elles sont même parfois contradictoires, et
l'équilibre obtenu dix ans après l'indépendance peut être encore quelque peu
modifié. Déjà pourtant se dessinent des doctrines et des comportements, des
choix positifs et négatifs, des options rationnelles et passionnelles, qui
permettent de dessiner à grands traits le nouveau visage de l'Algérie
souveraine.
Le « fait algérien
». — Beaucoup le réduisaient
naguère à l'ardeur du soleil. Les écrivains et les peintres européens qui ont
visité l'Afrique du Nord n'ont le plus souvent été sensibles qu'à la chaleur et
à la couleur. Loin de fermer les yeux devant les beautés de leur pays, les
Algériens d'aujourd'hui, particulièrement les poètes, remettent en honneur
cette communion profonde avec les éléments de la nature que les grands
lyriques. d'expression arabe ont jadis chantés : la mer, la montagne et le
désert. De vieux mythes resurgissent, car le soleil signifie aussi l'espoir, la
liberté, le bonheur, le glaive de la justice, le signe brûlant de l'idéal.
Cependant, comme l'exprime fortement Ahmed Taleb à propos d'Albert Camus, « il
est évident que le soleil et la mer ne suffisent pas, à eux seuls, à constituer
une patrie au sens où nous l'entendons ».
Il ne faut pas s'exagérer non plus le
sentiment d'appartenir à l'Afrique. Qu'est-ce que l'Afrique, ou « les Afriques
», comme on disait autrefois, sinon une notion imaginée arbitrairement au XVIe siècle par des géographes obsédés par la
délimitation des prétendus « continents ». En réalité, le Sahara constitua
toujours une barrière plus réelle que la Méditerranée, aire de passage s'il en
fut, et les anciens auteurs arabes étaient fondés à parler de « I'lle du
Maghreb ». Le progrès des communications et une certaine solidarité politique
solennellement affirmée au sein de l'O.U.A. accroissent chaque jour les
liaisons avec les peuples noirs, mais à l'image de leurs grandes villes les
Algériens demeurent principalement tournés vers le monde méditerranéen.
Un type «
Nord-Africain? ». — L'idée de
race reste étrangère à la mentalité des hommes de ce pays. A aucun degré elle
n'entre dans la définition de la nationalité algérienne. Comment pourrait-il
en être autrement ? Depuis la préhistoire, ces populations ont été constamment
brassées sur leurs rivages comme les autres habitants du littoral. Parler d' «
Arabes », comme faisaient autrefois les Français d'Algérie, est une
impropriété de langage; ou bien c'est confondre la race avec la langue, la
religion, la civilisation. Tout au plus pourra-t-on observer, du point de vue
ethnique, un fond « berbère », qui ne correspond d'ailleurs à aucune réalité
raciale, si l'on désigne par là les plus vieux habitants connus de l'Afrique du
Nord, descendants des Numides et autres Gétules de l'Antiquité. Il y eut
ensuite tant d'apports au cours des siècles : Phéniciens et Carthaginois,
Romains avec leurs légions cosmopolites, Vandales, Byzantins, ethnies arabes
d'origine variée, Maures, Juifs, Turcs, esclaves noirs, Espagnols, Siciliens,
Maltais, Français, qu'il est vain de rechercher une dominante dans cet alliage
parfaitement réussi. Tous les types physiques coexistent, se fondent et se
confondent : l'Algérien grand, mince et basané, le petit trapu et frisé, le
blond ardent aux yeux bleus... Sans doute les populations des montagnes
(Kabylie, Aurès) et du Sahara sont-elles demeurées plus proches des anciennes
tribus que celles des grandes régions de passage, mais non au point qu'on
puisse nettement les différencier, encore moins les opposer. Le type «
nord-africain » — fausse notion, à l'origine, hélas ! de bien des préjugés —
n'est qu'une variante d'un type plus général commun à tous les « nobles
riverains de la Méditerranée ».
Le mouvement
arabo-islamique. — Cependant,
de toutes les influences extérieures qui se sont exercées en ce lieu, c'est la
composante arabe qui a le plus marqué et le plus duré. Là où les Romains
avaient échoué à imposer leur civilisation, les Arabes ont réussi. Ceux-ci ne
se sont pas contentés d'introduire, au Vile siècle et surtout aux XVIes,
cent ou deux cent mille individus : de la même manière que Rome a donné à la
Gaule sa langue et sa religion, ils ont imprimé définitivement sur l'Afrique du
Nord la marque de l'Islam et de la langue arabe. Les Algériens participent donc
à la mouvance arabo-islamique comme les Français participent au « génie latin
». Est-ce à dire que la latinité elle-même, qui a régné six ou sept cents ans
en Afrique du Nord, n'a pas laissé de traces ailleurs que dans les ruines qui
illustrent quelques sites admirables ? Les esprits aussi en ont été marqués. On
observe que la raison et le goût de l'action occupent plus de place en Algérie
que dans la plupart des pays d'Orient. Mais le peuple algérien ne reconnaît pas
volontiers ces héritages. L'emprise de l'étranger, quel qu'il soit, ne s'est
jamais opérée sans résistance. Et c'est bien là une des constantes de l'âme
maghrébine : la lutte contre l'envahisseur. Les armées de Scipion et de Sylla
l'éprouvèrent durement, tout comme les troupes françaises au cours des 132
années d'une « pacification » jamais achevée. « Ils auront beau nous mâcher et
nous remâcher, écrivait Assia Djebar, ils ne nous avaleront pas ». Cette fière
affirmation, toutes les générations de Maghrébins depuis les commencements de
l'Histoire eussent pu la prendre à leur compte. Que ce soit sous la forme de
luttes sociales, comme les révoltes paysannes de 1871, ou sous celle de
schismes et d'hérésies de caractères religieux, comme le donatisme chrétien ou
le kharédjisme musulman, — les deux aspects étant souvent liés, — le peuple de
ce pays ne s'est jamais « aligné ».
Dans ce mouvement de « balancement
entre une dépendance continuée et une affirmation de l'indépendance d'autant
plus exaspérée qu'elle se révèle plus difficile » (A. Memmi), le balancier
s'est donc finalement stabilisé du côté arabo-islamique. Avant la conquête
française, le Maghreb central vivait essentiellement sur l'acquis
philosophique, scientifique, artistique d'une civilisation, qui avait jeté ses
plus beaux feux pendant les siècles abusivement dits « obscurs », dans le
rayonnement de Bagdad et de l'Andalousie. Ses grands hommes ne se sont pas
contentés de transmettre la science et la philosophie grecque, comme on l'a
prétendu, ils ont innové, ils ont contribué au progrès des idées et des
techniques, et tout l'Occident en a largement profité. Pourquoi la veine
s'est-elle épuisée après le XVe siècle ? Incriminera-t-on les
conquêtes turques? N'est-ce pas plutôt que les ressources économiques du bassin
méditerranéen ne pouvaient plus rivaliser avec la production des grandes
plaines à blé et des bassins houillers de l'Europe continentale ? ou bien le
décalage ne provient-il pas de l'accélération de l'Europe, qui s'est elle-même
littéralement envolée à partir de la Renaissance, à tel point qu'en
comparaison le reste du monde semble être demeuré immobile ? A certains points
de vue, la société maghrébine traditionnelle se portait encore fort bien à
l'aube du XIXe siècle. L'exemple de l'Emir Abd-el-Kader, brillant
lettré, capable d'une grande élévation de pensée, témoigne de la vitalité d'une
culture qui n'était pas aussi déchue qu'on l'a dit.
Une langue : l'arabe. — L'empreinte des Arabes s'est d'abord exercée
profondément sur la langue, repoussant dans les montagnes ou dans les sables
les parlers berbères. Ceux-ci, n'étant guère fixés par l'écriture, sont
maintenant affectés par la généralisation de l'enseignement. Le trilinguisme,
qui jusqu'à une date récente était largement pratiqué en Kabylie, fait place
peu à peu à une nette domination de la langue arabe. L'élément politique
n'explique pas tout : à l'origine, il devait exister des affinités préalables
entre les Berbères et les Arabes, un fonds commun de parenté. La langue
berbère, pour différente qu'elle soit de l'arabe, n'en appartient pas moins au
même groupe chamito-sémitique, et le passage de l'une à l'autre a pu se faire
sans trop de difficultés. C'est ainsi qu'en Gaule le latin a remplacé d'autant
plus aisément les parlers celtiques que ceux-ci présentaient déjà les
structures dé l'indo-européen... Certes, comme il est arrivé au latin, l'arabe
classique a subi lui-même de grandes altérations au contact des populations
étrangères, et le dialecte maghrébin n'est guère compris à Damas ou au Caire. Mais
maintenant l'accent est mis à l'école sur l'arabe classique, ou du moins sur un
« arabe moyen », celui de la presse et de la radio. Si cette opération réussit,
l'unité linguistique de l'Algérie sera réalisée rapidement; et bientôt l'unité
linguistique de toute la « nation arabe » de l'Euphrate à l'Atlantique.
Livre saint et code
juridique : le Coran. — Plus
encore que la langue, la religion en est le ciment. Là encore l'Islam a
enregistré des variations, telles que le maraboutisme, qui relève certainement
de pratiques magiques très anciennes, sinon du culte des saints aux premiers
temps de l'Église. Car ces peuples furent longtemps christianisés, mais
l'Islam recouvrit et souvent absorba les croyances chrétiennes. Il faut
d'ailleurs se garder d'imputer systématiquement à la religion musulmane
certains comportements liés aujourd'hui à la personnalité algérienne, et qui
sont en fait le fruit d'autres traditions. Le port du voile chez les femmes, la
circoncision chez les hommes, le tabou de la virginité, le sentiment de
l'honneur familial, les privilèges honorifiques dus à l'âge, le jeûne annuel,
certains interdits alimentaires comme celui du porc, etc... sont des phénomènes
antérieurs au Coran ; ils se retrouvent, ou se retrouvaient il y a peu, dans
bien des collectivités juives ou chrétiennes de l'Orient et de l'Europe
méridionale.
Ce qui paraît vraiment inhérent à la
mentalité musulmane, c'est l'accent mis sur les valeurs spirituelles. Et cela
non seulement en théorie, mais dans l'existence de chacun. En dehors de
quelques cas d'agnosticisme dans certains milieux très européanisés, on vit
sincèrement et profondément sa religion. Pour défendre leurs convictions
morales, les Algériens sont capables de compromettre des avantages matériels
immédiats. L'intérêt n'est pas le principal moteur de ce peuple ; les hommes
d'affaires étrangers, tout comme les hommes politiques, l'apprennent parfois à
leurs dépens. De l'Islam résulte également une conception particulière du droit
: sa source première étant la révélation divine, le Coran contient,
explicitement ou non, les lois applicables à tous les cas concrets.
Le droit européen, avec ses codes et
ses lois, est loin d'avoir recouvert complètement l'ancienne conception
métaphysique de la Justice.
Au rythme solaire. — Aussi bien les représentations de base de l'homme
algérien sont-elles toujours largement déterminées par les concepts
islamo-arabes. Nous ne parlons pas de cette frange très évoluée de la
population, — intellectuels, administrateurs, techniciens — qui se comporte de
la même manière qu'en Europe ou ailleurs. C'est dans le peuple qu'on constate
des différences. Différences de culture, certes, et non point de nature, car
l'Algérien peut et sait s'adapter, quand il le faut, à toutes les manières de
penser et de sentir : on le voit dans l'émigration. Dans leur milieu, la grande
majorité des hommes et des femmes de ce pays ont des attitudes qui surprennent
toujours les étrangers. La notion de temps, par exemple, là où la vie moderne
n'impose pas des horaires rigoureux, est beaucoup plus qualitative que
quantitative. Le tissu même de la durée, son épaisseur, sa densité, comptent
beaucoup plus que son écoulement mesurer. C'est à la campagne qu'on retrouvera
le plus naturellement, cette tendance atavique à s'abandonner à l'ordre divin.
Mieux que les horloges, les rythmes du soleil et des saisons sont propres à
créer les cadres de la vie profonde : méditation, prière, pratiques
religieuses, de même qu'ils règlent les travaux des champs. On ne s'étonnera
donc pas de rencontrer beaucoup d'Algériens qui ne se soucient guère de l'heure
; il en est même quelques-uns qui ne savent pas lire une montre. Mais ils
savent lire dans le ciel et règlent leurs occupations sur le mouvement des
astres.
L'attitude à l'égard du travail n'est
pas identique à celle des sociétés industrialisées depuis longtemps. Là
l'efficacité prime tout. L'usine, le chantier ou le bureau imposent à chacun un
certain nombre d'heures pénibles, ressenties comme une servitude nécessaire.
Aussi la distinction est-elle nettement établie entre la tranche de vie
consacrée aux loisirs ou à la famille, et celle qui est imposée par la
profession. Chez les Algériens, il n'existe pas toujours de coupure aussi
nette. Pour les paysans et les artisans de ce pays, qui forment les
trois-quarts de la population, le travail peut s'intégrer à toutes les heures
du jour, avec des moments forts et d'autres de moindre concentration, chacun
cherchant à user au maximum de sa liberté. On comprend mieux les difficultés de
l'industrialisation quand on sait que les ouvriers d'usine sont pour la plupart
d'anciens fellahs. L'éducation corrige peu à peu ces mentalités, mais la nature
refuse énergiquement de se laisser aliéner. Pour les femmes mariées, la
question du travail rétribué est également liée aux conceptions religieuses et
morales, même si elle n'est pas toujours ressentie comme telle. C'est une
tradition millénaire qui leur assigne de se vouer avant tout à la maternité et
à leur foyer. Certes, le travail féminin fait des progrès constants dans les
bureaux et dans les usines, mais la condition d'ouvrière ou d'employée, sauf
dans les milieux très particuliers, reste exceptionnelle.
Un système de
valeurs. — Le comportement du
peuple algérien dans les affaires d'argent résulte d'un compromis entre les
réalités du monde moderne et une répugnance ancestrale pour le négoce. Dans le
Maghreb d'autrefois, ce n'étaient pas les Musulmans qui s'occupaient de ces
choses. Les commerçants se recrutaient de préférence au sein de certaines
minorités. D'une manière générale, on aime dépenser et l'appétit de consommer
se fait chaque jour plus exigeant, mais on se préoccupe assez peu de faire
fructifier son bien. Ce sont des éléments de cette sorte qui distinguent
l'Algérie de l'Europe capitaliste et bourgeoise. Bien qu'ils aient été en
contact pendant près d'un siècle et demi avec la société française, les
Algériens ne se sont pas dépersonnalisés. Tout au plus, y-a-t-il eu une « mise
en hibernation ». Aujourd'hui l'indépendance, en même temps qu'elle a créé les
conditions d'un nouveau départ, leur redonne confiance en leur propre système
de valeurs.
Est-ce à dire que l'homme maghrébin a
retrouvé intactes les structures mentales qui étaient les siennes au début du
XIXe siècle ? Faut-il l'englober dans la définition générale de
l'Arabe, qui, selon Jacques Berque, se caractérise par « le primat,
tantôt fécond, tantôt stérile, du sentiment sur les faits, du signe sur la
chose? ».
Cette observation, peut-être vraie
pour le Machrek, appelle ici une question : dans quelle mesure l'Algérien
participet-il de cette manière de sentir et de penser qu'on appelle
«Arabisme »?
Rêve et réalité. — Habitué aux larges horizons, dans ces steppes et
dans ces déserts où « il n'existe rien, selon Hegel, qui puisse recevoir une forme
», l'Arabe est souvent considéré comme doué d'une propension au rêve. Tournant
souvent le dos à la réalité positive, il serait disponible pour toutes les
tentations de l'imaginaire. L'esprit cartésien, réduit à sa caricature, passe
ainsi pour être l'antithèse de l'esprit qui souffle sur ces contrées, chargé de
sentiments, de symboles, de lyrisme. A la fin du XXe s, cette
analyse appelle des nuances. Encore faut-il distinguer entre les régions, entre
les classes sociales, et même entre les heures de la journée, où alternent
parfois les calculs froids de l'intellect avec les flambées de passion et
d'imagination. Les entorses apparentes à la logique que l'on constate ici et là
ne procèdent pas forcément des failles de la mécanique intellectuelle.
La nécessité est souvent plus forte
que la déduction. Ici, elle s'appelle la faim, et cela peut légitimer certaines
contradictions. Si de nos jours le minimum vital est à peu près garanti à
chacun, la menace d'une certaine disette pèse encore sur les habitants des
campagnes et des faubourgs. Les économistes des pays développés ont beau jeu de
dénoncer certaines inconséquences. Est-il raisonnable d'embaucher dans des
usines automatisées plus de main-d’œuvre que l'industrie moderne n'en a
strictement besoin ? Les responsables algériens n'ignorent pas les lois féroces
de la rentabilité, mais ils savent aussi que trois hommes sur quatre n'ont pas
de travail, et qu'il faut créer le maximum d'emplois pour assurer à chacun sa
subsistance et sa dignité. Ces raisons essentielles qui découlent de la nature
des choses font craquer les schémas rationalistes.
L'intelligence
algérienne. — Sur un fond de
sentiments et de rémanences souvent très anciennes se dessine un des aspects
les plus positifs du caractère algérien : le goût et le don de l'activité
intellectuelle. La plupart des peuples méditerranéens ont fait leurs preuves
dans ce domaine, mais de nos jours l'Algérie nous paraît particulièrement riche
en cerveaux remarquables. C'est ce qui explique que la « relève » ait pu se
faire, somme toute, si aisément après le départ des Français. Les cadres sont
encore trop peu nombreux, mais ceux qui existent, savent dialoguer d'égal à
égal avec les plus habiles négociateurs européens et américains. L'intelligence
n'a jamais fait défaut dans la patrie de Saint Augustin et d'Ibn Khaldoun, ni
la puissance dialectique, ni les facultés tout à la fois d'observation et
d'abstraction. Léon l'Africain notait au XVIe siècle que les
Maghrébins sont « gens qui se délectent grandement de savoir ». Abd-el-Kader
proclamait lui-même que « le sabre est au-dessous de la plume ». La principale
matière première de ce pays, en définitive c'est sa matière grise. C'est sur
elle surtout, plus que sur leur pétrole, que les Algériens comptent pour bâtir
leur avenir.
L'avenir. — Dans la définition de l'identité algérienne,
l'élan, comme on l'a dit, compte sans doute davantage que le bilan. L'objectif
qu'Ahmed Taleb assigne à sa nation : « Être soi-même », signifie
davantage : « Devenir soi-même », que se complaire à soi-même. Et s'il insiste,
comme il le fait, sur le passé, c'est que « l'édification de l'avenir passe par
la remise à jour de ce passé ». Remise à jour ne veut pas dire asservissement,
mais approfondissement des valeurs en vue de leur adaptation au monde moderne.
La célèbre devise du Cheikh Ben Badis « L'Algérie est notre patrie, l'Islam est
notre religion et l'arabe est notre langue », qui remonte bien avant
l'indépendance, traduisait surtout la volonté de s'opposer à la francisation.
Aujourd'hui, ce programme reste, certes, à l'ordre du jour, mais d'autres
perspectives sont apparues. L'accent est mis aussi sur le développement, sur
l'ouverture vers le Maghreb et vers l'Afrique, sur le nécessaire dialogue avec
l'Europe, sur l'évolution des habitudes de travail sur le progrès des idées et
des mœurs. Quant à la langue, le maintien du français est encore (mais
peut-être provisoirement) jugé nécessaire à l'acquisition et au développement
des sciences et des techniques, comme au contact avec l'étranger. Tous ces
éléments ne sont pas encore nettement définis, ni parfaitement en place. Il y
faudra du temps, mais à force de travail, de volonté, de lucidité, un nouveau
type d'homme devrait bientôt s'épanouir et prospérer sur le vieux tronc de la
nation.
La ville de Constantine remonte aux
commencements de l'Histoire. Cramponnée à son rocher, l'antique Cirta a vu
passer des envahisseurs innombrables. Elle les a tantôt repoussés, tantôt
absorbés, rien n'est venu changer fondamentalement la nature de ces hommes
rudes, de ces femmes secrètes derrière leur voile noir. Un jour sans doute le
voile tombera, le bien-être adoucira les mœurs, la ville épousera son siècle.
Déjà une très grande usine y fabrique les moteurs et les tracteurs dont le pays
a besoin, et une certaine mentalité industrielle commence à se faire jour.
Déjà une magnifique Université de type moderne
est sortie du sol, et demain 20 000 étudiants chaque année déboucheront tout
armés dans un XXIe siècle où le Maghreb aura son rôle à jouer. En
même temps s'édifie, face à l'Université, la Mosquée qui sera la plus grande et
la plus haute de toute l'Afrique... Là où certains croient déceler une
contradiction de l'âme algérienne, d'autres voient ou espèrent une véritable
harmonie dans ce double mouvement d'ouverture vers l'avenir et de fidélité à
soi-même.
Le voyageur étranger, et tout
particulièrement le Français qui, pour le meilleur et pour le pire, s'est
tellement attaché à cette terre, ne se contentera pas de contempler les
paysages et de visiter les monuments décrits dans ce guide. Respectueux de
l'originalité de chacun, attentif également à tout ce qui peut unir et
réconcilier les hommes, il emploiera sa raison et son coeur à pénétrer la
conscience profonde de ce
[1] Collection : Hachette - Guides Bleus
C’est la collection la
plus complète en matière de guides culturels. Les textes sont détaillés et
agrémentés de petites photos en couleurs